Riot Grrrls. Révolution punk féministe
https://incendo.noblogs.org/post/2016/05/01/riot-grrrls-revolution-punk-feministe/
Manon LABRY, Riot Grrrls. Chronique d’une révolution punk féministe, La Découverte, 2016.
Au début des années 1990, de jeunes féministes nord-américaines lançaient du fond de leurs tripes un cri de colère et de ralliement dans le milieu punk underground : « Revolution, Grrrl Style, Now ! » La culture riot grrrl – littéralement, les « émeutières » – était en train de naître. Des groupes comme Bikini Kill ou Bratmobile partaient à l’assaut de la production musicale, décidés à rendre « le punk plus féministe et le féminisme plus punk »
Leur offensive fut une secousse incroyablement positive pour toute une génération assommée par la culture mainstream. Car les riot grrrls ont été bien davantage qu’un simple courant musical : appliquant les principes du Do-It-Yourself, elles ont construit une véritable culture alternative, dont la force de frappe tient en une « proposition » que suivront des milliers de jeunes femmes : celle d’oser devenir qui elles sont et de résister corps et âme à la mort psychique dans une société capitaliste et patriarcale.
Manon Labry retrace l’histoire de cette révolution politique et culturelle. Elle déploie une écriture punk bien frappée qui entremêle paroles de chansons, témoignages, réflexions personnelles, extraits de fanzines et illustrations pour faire la chronique d’une génération Riot Grrrls: 3 groupes qui ont marqué l’histoire de ce mouvement punk et féministe
Avec Riot Grrrls, Chronique d’une révolution féministe, Manon Labry signe un essai à la première personne sur le mouvement musical devenu culte. Loin d’ériger ses représentantes au rang d’idoles, elle analyse les vrais enjeux politiques et musicaux de la période. Retour sur trois de ces groupes, qui ont définitivement changé le féminisme
Manon Labry n’est pas la première à se pencher sur le phénomène des riot grrrls. Mais elle est peut-être la première, justement, à refuser d’y voir un phénomène, un moment anecdotique devenu un chapitre comme un autre dans l’histoire du rock.
Dans son essai Riot Grrrls, Chronique d’une révolution féministe, elle dissèque la manière dont une poignée de filles ont organisé au début des années 90 une rébellion underground, qui est passée par la création de groupes de punk et d’espaces de parole non mixtes. Elle raconte comment, en faisant croire qu’elles étaient un mouvement organisé, elles ont permis à des filles du monde entier de créer des fanzines et de mettre des mots sur leurs frustrations. L’ouvrage tisse une chronologie captivante, du premier cri Revolution Girl Style Now!, poussé par les meufs de Bikini Kill dans une cave d’Olympia, État de Washington, à la fin du mouvement, précipitée par des médias qui essaient par tous les moyens de mettre une étiquette sur des groupes qui veulent à tout prix échapper aux définitions. Cette analyse politique du mouvement est loin de la glorification, et Manon Labry explique aussi les limites des riot grrrls et notamment le manque de diversité du mouvement, accusé à nombreuses reprises d’être le miroir d’un féminisme blanc et occidental.
La docteur en civilisation américaine explique, avec un style très personnel et rentre-dedans, comment s’est organisée cette petite révolution autour du DIY et d’une musique féroce, sans concessions. Comment cette musique s’est inscrite dans un moment très particulier dans l’histoire de la musique, l’année où Nirvana passe de l’underground au mainstream, et où MTV change la donne. À dix mille lieues d’un essai universitaire, Riot Grrrls, Chronique d’une révolution féministe devrait donner envie à toutes les meufs du monde de prendre une guitare, d’écrire un zine, et de demander aux mecs de rester au fond de la salle pendant les concerts (l’un des faits d’armes de la leader de Bikini Kill, Kathleen Hanna). Et pour celles qui voudraient se mettre à écouter la musique des riot grrrls? Voilà trois groupes pour commencer.
Bikini Kill
“We’re Bikini Kill and we want revolution girl style now!”: Bikini Kill, c’est sans conteste le premier nom qui vient en tête à ceux qui ont entendu parler des riot grrrls. Le groupe se forme au début des années 90 à Olympia, bastion du mouvement, autour de trois filles: Kathleen Hanna, Kathi Wilcox et Tobi Vail. Un garçon, Billy Karren des Go Team, les rejoint bientôt à la guitare. Dès le début, elles ne veulent pas de leader. Pourtant, Kathleen Hanna devient très vite -et sans le vouloir- la figure de proue non seulement des Kills, mais aussi du mouvement tout entier. Pour la petite histoire, c’est elle qui a inspiré à Kurt Cobain la célèbre phrase Smells Like Teen Spirit, comme elle l’expliquait en 2010 lors d’un concert immortalisé dans la géniale vidéo ci-dessous.
Dans leurs zines et dans leurs chansons, les Bikini Kill somment aux filles d’être elles-mêmes, de ne plus se laisser intimider, de marcher fièrement. Elles appellent les “girls” à s’organiser dans leurs régions et à fonder des groupes même si elles ne savent pas jouer. Tobi Vail, dans son zine Jigsaw, réduit en pièces le capitalisme et la société patriarcale. Mais c’est véritablement sur scène que Bikini Kill se révèle. Kathleen Hanna, en soutien-gorge, déclame ses paroles comme si sa vie en dépendait. Et musicalement? “Pour décrire en musique un monde patriarcal et capitaliste de merde, ils savent comment faire”, écrit Manon Labry. Après des débuts un peu chaotiques, leur première démo, enregistrée dans l’urgence par dessus des cassettes piratées de Nirvana et titrée Revolution Girl Style Now! est composée de six titres comme autant d’uppercuts. S’ensuit une carrière qui ne durera qu’une poignée d’années mais qui va marquer l’histoire du rock et du féminisme pour toujours.
Fatigués par les tournées -parfois musclées-, par les tensions au sein du groupe et par la pression des médias qui ne comprennent rien aux riot grrrls, Bikini Kill se sépareront en 1997. Restent des morceaux inoubliables aux titres géniaux, à l’instar du culte Suck My Left One.
Bratmobile
Allison Wolfe et Molly Neuman sont deux amies qui vivent au fin fond de la ville d’Eugene dans l’Oregon. Ensemble, elles se passionnent pour le punk et le féminisme. Molly Neuman, qui a vécu à Olympia, écrit à Tobi Vail qui l’enjoint -mouvement participatif oblige- à lancer son propre zine. Pour se donner du crédit, elles racontent dans leurs lettres qu’elles ont, elles aussi, un groupe. Calvin Johnson, le gourou underground d’Olympia et fondateur du label K Records, les prend au sérieux et les invite en toute logique à jouer aux côtés de Bikini Kill un beau jour de Saint-Valentin 1991. C’est de ce mensonge inaugural que naît Bratmobile. En une poignée de semaines, les deux copines composent des titres sans aucune connaissance musicale. Plus tard, Johnson les présente à Erin Smith, qui vient compléter leur son avec un jeu de guitare clair et répétitif.
“Bratmobile, écrit Manon Labry, n’a pas sa langue dans sa poche et est bien décidé à faire triompher les binoclard-e-s ringard-e-s.” Le groupe part en guerre contre les “white boys” et les codes du cool qui entravent leur liberté d’expression. Leur premier album, Pottymouth, est moins urgent que celui de Bikini Kill et est emmené par un vrai sens mélodique et le chant unique d’Allison Wolfe. Les Bratmobile sont elles aussi victimes de la crise médiatique des riot grrrls au milieu des années 90, et elles se séparent. Elles se reformeront en 1998 avant de mettre un point final à leur histoire en 2003.
Heavens to Betsy
Si l’on pense qu’Allison Wolfe et Kathleen Hanna savent crier, c’est qu’on n’a pas encore écouté Heavens to Betsy, l’un des groupes les plus percutants des nineties. Corin Tucker, sa chanteuse, a du coffre et des choses à hurler. Elle fonde ce groupe à Olympia avec Tracy Sawyer. Tout comme Bratmobile, les deux filles décrochent un concert alors qu’elles n’ont répété qu’une poignée de fois, et qu’elles sont loin de pouvoir tenir un set. Elles sont invitées à jouer à un événement qui deviendra culte: l’International Pop Underground Convention, où se retrouve le fleuron de la scène indé d’Olympia et de Washington, D.C. Heavens to Betsy y joue aux côté d’autres riot grrrls lors de la “girl night”.
“Les gens ont dû sentir qu’il y avait en gestation une approche de la musique inaccoutumée, singulière, raconte Manon Labry. Comme si deux précoces s’étaient associées et avaient porté la conception de la mélodie un pas plus loin que les autres, ou un pas à côté du chemin qu’empruntent les autres, qu’elles avaient observé et profondément assimilé la musique de leur temps, tout en ne reniant pas leur étrangeté propre.” Ce soir-là, Heavens to Betsy joue trois titres. Le groupe ne durera qu’un temps. Alors qu’elle écrit de nouveaux titres avec Heavens to Betsy, Corin Tucker rencontre la guitariste du groupe Excuse 17, Carrie Brownstein, avec qui elle commence à répéter. Sleater-Kinney est né et continue, à sa manière, l’histoire éternelle des riot grrrls.
Pauline Le Gall